Ségrégation
Dans le champ des sciences sociales, la ségrégation sert à désigner tout phénomène évolutif ou tout état de séparation de groupes ethniques ou sociaux, à l'échelle infra-urbaine, urbaine, régionale ou nationale, confirmée ou favorisée peut-être par la loi,...
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Dans le champ des sciences sociales, la ségrégation sert à désigner tout phénomène évolutif ou tout état de séparation de groupes ethniques ou sociaux, à l'échelle infra-urbaine, urbaine, régionale ou nationale, confirmée ou favorisée peut-être par la loi (ségrégation d'État), légitimée socialement, et qui conduit à la formation d'aires ségréguées, de territoires hétérogènes et d'espaces-frontières. Il existe aussi des formes de ségrégation sexuelle (voir par exemple Gynécée) ou religieuses, mais qui toujours s'inscrivent dans l'espace.
Dans l'Histoire
Le terme de ségrégation est complexe et évolutif. Son caractère spatial est essentiel. La ségrégation repose avant tout sur un «pouvoir d'exclure» et résulte fréquemment d'une «introduction des valeurs économiques dans les rapports sociaux […] [qui] produit des formes de pouvoir se révélant à la faveur de leur expression spatiale» (Guy Di Méo, op. cit. p. 260).
Avant l'époque moderne, la ségrégation est fréquemment complexe à discerner dans la typographie sociale, surtout dans les villes d'Occident, où misère et luxe se mêlent en énormément de lieux.
Quelques exceptions cependant, à l'exemple des Communes italiennes, tel Gênes et Pérouse ou encore des consortes florentine, où s'établit une distinction entre les quartiers aristocratiques et les quartiers des ruraux récemment arrivés, selon une logique de ségrégation foncière.
Historiquement, et surtout du XVIIIe au XIXe siècles, la ségrégation a pu être pensée comme un instrument de régulation sociale et d'aménagement urbain au sein des villes européennes.
Ségrégation raciale et ségrégation spatiale
Si certaines ségrégations résultent d'une logique socio-économique, le phénomène peut aussi évoluer, et c'est le cas le plus fréquemment, avoir une dimension idéologique et politique, implicte ou explicite. L'exemple le plus parlant est à ce titre le cas de la politique régionale des Bantoustans mais aussi celui de l'ex-Rhodésie. Le terme recouvre alors le champ des sciences politiques et la ségrégation couvre aussi sur les droits civils. Exemple extrême, le cas de la ségrégation antisémite sous l'Allemagne nazie, surtout après 1941.
Mais l'absence de ségrégation politique n'exclut pas les formes de ségrégations spatiales. Ainsi, si le 14e amendement de la Constitution des États-Unis interdit la ségrégation raciale, ces États connaissent des formes caractéristiques de ségrégation socio-spatiale.
Définitions
Le terme «ségrégation» vient du latin Segregare mettre à l'écart. Il est fortement polysémique et recouvre des réalités différentes. On doit à Grafmeyer (1994) l'effort de clarification du concept. Dans son acception la plus restrictive, (i) la ségrégation recouvre l'intentionnalité de mise à l'écart d'un groupe social. La figure emblématique est celle du ghetto religieux ou ethnique. Cette définition est devenue moins fréquente au fil du temps mais demeure sous-tendue dans les discours communs.
Dans les années 1970, le sens s'est étendu à (ii) l'inégale localisation des groupes sociaux dans l'espace urbain. Ce qui peut aussi recouvrir les spécialisations des espaces urbains. Le courant marxiste appréhende (iii) la ségrégation des ouvriers par l'inégalité d'accès des groupes sociaux aux biens matériels et symboliques de la ville. D'où une triple ségrégation «le lieu et la qualité du logement, par les équipements collectifs, et par les distances imposées entre domicile et lieu de travail» (ibid. ).
Enfin, (iv) la dernière approche privilégie «toute forme de regroupement spatial associant étroitement des populations défavorisées à des territoires circonscrits». L'image totémique renvoie à celle du ghetto et «en France, [à] la banlieue sensible (Pan Ké Shon, 2009). C'est probablement dans cette troisième voie qu'on se rapproche le plus de l'acception originelle» (ibid. ).
La ville du sud : des espaces ségrégués
Les espaces ségrégués ont une histoire qui s'inscrit le plus souvent dans le long terme. Les anciennes villes coloniales - surtout en Afrique - offrent aussi la démonstration que ségrégations raciale et sociale marquent le territoire sur une durée importante. La division principale de l'espace s'organise alors en deux sous-ensembles : le village autochtone et les quartiers européens. Fréquemment à l'origine, se trouve, comme à Abidjan après un arrêté de 1909, une ségrégation foncière.
Autre illustration, si la ségrégation d'État a été abolie en Afrique australe, la ségrégation sociale est toujours spatialement identifiable, à l'instar de celle visible à Harare-Chitungwiza ainsi qu'à Johannesbourg-Soweto.
Certaines villes africaines, quoiqu'ayant connu des redécoupages administratifs municipaux, restent des espaces ségrégués. Ainsi, la Médina de Dakar est à l'origine un «village de ségrégation» créé administrativement après les épidémies de peste et de fièvre jaune du XIXe siècle.
Les conséquences de la ségrégation spatiales sont visibles dans le paysage : ainsi, à Kampala, l'opposition est-ouest qui marque la ville «européenne» publique (collines de Nakasero et de Old Kampala) et la ville privée (Mengo-Kisenyi) se traduit-elle par une différenciation des types d'urbanisation.
Les villes d'Afrique du Nord peuvent connaître, surtout Tunis à l'époque médiévale, une ségrégation sur des bases plus religieuses que sociales ; ce qui a conduit à la constitution de quartiers homogènes.
Vers la «ville fragmentée»
Le phénomène d'inégalité spatiale résultant de la ségrégation est aujourd'hui compliqué et renforcé par des politiques de privatisation à l'œuvre en Afrique (exemple des matchboxes de Namibie) et dans la majorité des Pays en voie de développement (exemple de La Paz - El Alto).
Des politiques de “patrimonialisation ” des centres urbains, sous-tendues par une représentation de la ville des élites, ont produit de nouvelles formes de ségrégation spatiale dans le partage inéquitable de l'espace urbain (Mexico).
Actuellement, de nombreuses villes émergentes sont en passe de connaître un nouveau statut, remplaçant celui de ville ségréguée, celui de «ville fragmentée» ou «segmentée», surtout en Amérique latine. Car la ségrégation socio-spatiale, dans ses principes inégalitaires et hiérarchiques, conserve à la ville sa dimension organique.
Les espaces et les aires ségrégués peuvent aussi devenir des «espaces en sécession».
Paradoxalement, un espace urbain peut être simultanément un espace ségrégué et , sur le plan culturel, un espace de métissage.
La ségrégation diffuse
Les géographes utilisent aussi la notion de «ségrégation sociale diffuse» pour désigner le manque de solidarité qui peut exister entre les différentes composantes spatiales du territoire urbain (commune, quartier, îlot urbain) et sur les déséquilibres qui peuvent exister entre lieu de résidence et lieu de travail, selon les modèles centre-périphérie (modèle de Burgess ou ségrégation concentrique, modèles de Harris, Ulman et Hoyt, ce dernier ayant été accusé d'avoir en quelque sorte légitimé une planification urbaine ségrégative et raciale) et la théorie de la rente.
Ségrégation religieuse
- L'État de la Cité du Vatican n'offre la citoyenneté qu'aux personnes de religion catholique.
- L'État d'Israël encourage et finance l'immigration de personnes de religion israélite.
Bibliographie
- Nicole Arnaud-Duc, «Le XIXe siècle. Les contradictions du droit», in Histoire des femmes en Occident (sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot), tome IV.
- Virginie Baby-Collin, «El Alto de La Paz, cité pauvre d'altitude au cœur de l'Amérique latine.», L'Espace géographique, tome 27, 1998.
- Jacques Brun, Catherine Rhein, La ségrégation dans la ville, Paris, L'Harmattan, 1994.
- Bernard Calas, Kampala, la ville et la violence, Paris, Karthala, 1998.
- Guy Di Méo, Géographie sociale et territoire, Nathan Université, 2001.
- Alain Dubresson, «Les grandes villes africaines : trois questions sur l'avenir urbain d'un continent», L'Information géographique, n°2, 1999.
- Annie Fourcaut (sous la direction de ), La ville divisée. Les ségrégations urbaines en question France XVIIIe-XXe siècles, (Actes du colloque), Grâne Créaphis, 1996, 465 p.
- Sylvie Jaglin, «Villes disloquées ? Ségrégations et fragmentation urbaine en Afrique australe», Annales de géographie, n° 619, 2001.
- Jacques Lévy et Michel Lussault (sous la direction de ), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Belin, 2006.
- Jean-Louis Pan Ké Shon, «Ségrégation en quartiers sensibles. L'apport des mobilités résidentielles», Revue française de sociologie, 50-3, juillet-septembre 2009.
- Roland Pourtier, «Villes africaines», Paris, La Documentation photographique, n°8009, 1999.
- Milton Santos, L'espace partagé : les deux circuits de l'économie urbain des pays sous-développés, Paris, 1975.
- Jacques Scheibling, Qu'est-ce que la Géographie ?, Hachette Éducation, 1994.
- Christophe Guilluy, le séparatisme français, Vivre ensemble... sur des territoires scindés ?, L'annuel des idées, 2009.
Voir aussi
Liens externes
- Un article-définition de Denise Pumain extrait du site Hypergéo
- Une sélection d'articles sur la ségrégation spatiale
- Documents sur la ségrégation en Afrique du Sud : Compte-rendu d'une conférence animée par Myriam Houssay-Holzschuch intitulée «Ségrégation sociale, ségrégation spatiale» et «Ville d'apartheid, ville de ségrégation : Johannesburg» par Jean-François Valleix.
- «La ségrégation sociale à Athènes», article de Thomas Maloutas publié dans la revue Mappemonde, n° 4, 1997.
- «La ségrégation sociale dans les écoles françaises» sur le blog Ecopublix.
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